Né en 1987
Fils de
Charles de Couëssin et Gaëtane Prouvost
Discours écrit en février 2006 par Victor de Couessin et Guilhem de Vasselot, puis prononcé au cercle de l’Union interalliée.
Concours d’éloquence (1ère épreuve). Jeudi 23 février
2006.
Nous croyons tous avoir des
amis : fréquentations mondaines, culturelles, professionnelles, rencontres
qui essaiment vos souvenirs d’enfance, ceux à qui vous avez dévoilé vos secrets
au cours d’une soirée animée. En tout, quelques dizaines cartes de vœux et 500
poignées de main. Et pourtant…lorsque la panne sèche survient, combien sont là
pour pousser la voiture ? Combien accepteraient de vous prêter main forte
au milieu de la nuit ? A faire passer leurs « copains d’abord »,
selon la chanson de Brassens ?….Faites le compte : deux, trois,
quatre…Pas mal !
L’amitié est ambiguë. Elle est rare la véritable amitié. C’est une
bienveillance réciproque, une complicité, une alliance amenée à durer, qui
s’oppose à l’aventure d’un jour, à la simple camaraderie. A la différence de
l’amour, elle ne repose pas sur l’attrait physique mais sur des affinités
intellectuelles, des passions ou, plus simplement, sur la proximité. Certains
l’exercent dans débats politiques houleux, d’autres autour d’un verre, en bons
voisins, pour raconter leur journée. L’amitié est naturelle. Elle ne se
recherche pas, ne se rêve pas, ne se désire pas mais s’exerce, comme
l’expliquait Simone Weil.
L’amitié ne se provoque pas. Elle surgit, elle surprend mais n’est jamais le
fruit d’un calcul froid et intéressé. Suffit-il de feuilleter les petites
annonces pour trouver un ami ? En apparence oui. L’amitié moderne se
pervertit à travers les sites de rencontre, les SOS amitié, et
autres artifices. Mais peut-on alors vraiment parler d’amitié ? N’est-ce
pas la dévaloriser que de la placer sur la liste des numéros d’urgences, entre
le SAMU, la brigade anti-poison et le service des eaux ?
De même, l’amitié ne se rêve pas. Souvenez-vous… Cet enfant qui surgit de
votre mémoire, qui partageait vos après-midi et vos secrets, cet être cher avec
qui vous avez grandi, ce frère d’armes aux regards complices et dont les
circonstances vous ont éloigné. Il a survécu dans votre esprit. Vous l’avez
imaginé partout, idéalisé, perfectionné, rêvé. Vos retrouvailles sont teintées
de déception, tant les souvenirs sont différents de la réalité.
Bien entendu, l’amitié ne se désire pas, elle s’impose d’elle-même. C’est un
accord tacite, une alliance scellée de regards, un pacte que les mots ne
rendent pas. Le désir ne suffit pas. L’amitié est à double sens. Elle suppose
une réciprocité, un échange, un exercice. On ne valide pas une amitié seul, en
se repliant sur un désir, un fantasme mais en échangeant avec l’autre. Je suis
toujours l’ami de quelqu’un. Je suis son ami, je suis ton ami, je suis
leur ami.
Souvenez-vous encore de ce compagnon qui inspira vos bêtises et vos premières
amourettes. Qu’est-il devenu ? Un déménagement, un accident professionnel,
un drame familial et votre amitié s’est soudain affaiblie, voire a disparu. Le
temps érode, transforme, attaque et tout ce qui veut durer doit être entretenu.
Laissez une maison à l’abandon, le lierre l’envahit ; oubliez un feu
pendant quelques heures, il s’éteint ; omettez votre ami, il disparaît.
On ne peut s’opposer au temps. Il nous change inévitablement. L’amitié est
alors un défi, celui de deux êtres qui veulent évoluer ensemble, se soutenir
tout au long de la vie. « La grande amitié n’est jamais
tranquille », expliquait Madame de Sévigné. Il faut sans cesse la
travailler, la renouveler, l’exercer pour éviter qu’elle devienne un usage, une
habitude, qu’elle se réduise au « transmettez-lui toutes mes
amitiés », si poli et souvent si hypocrite. Elle suppose donc une
tolérance, une ouverture sur l’autre. C’est probablement ce que Gauguin et Van
Gogh ne comprennent pas lorsqu’ils décident de travailler ensemble en 1887.
Deux parias de la société qui s’allient, animés par les mêmes recherches
picturales, songeant plus à travailler leur peinture qu’à travailleur leur
amitié. Quelques mois plus tard, lors d’une dispute, Van Gogh menace Gauguin
avec un rasoir et se tranche finalement l’oreille, comme en témoigne son Autoportrait
à l’oreille coupée. Souvenez-vous de Van Gogh lorsque quelqu’un prétendra
être votre ami, souvenez vous qu’il perdit son oreille pour avoir joué avec
l’amitié.
Flaubert croyait au coup de foudre en amitié. Ne recherchez pas, ne rêvez pas
d’un compagnon idéal. Ne l’attendez pas comme si vous lui tendiez un
guet-apens, comme si vous cherchiez à fuir lâchement la solitude, selon les
termes de Simone Weil. On ne se fait pas un ami, on le devient malgré soi. Et
pourtant la société moderne a fait de l’amitié un commerce banalisé sur
Internet selon les régions, les affinités. Elle n’est plus qu’un coup monté.
Allumez votre ordinateur. Tapez « rencontre », « recherche
amitié », l’humanité entière vous proposera son amitié ;
seront affichés des millions de « contacts ». Vous devrez
alors augmentez votre budget carte de vœux. Consultez aussi les petites
annonces. Vous pourrez acheter des poussettes, des tapis, des chats persans et
aussi quelques amis, certains rêvant d’une relation de longue durée, d’autres,
plus prudents, pour quelques mois, jusqu’au prochain déménagement.
A
rechercher, à rêver, à désirer l’amitié, on en fait une marchandise. C’est
aujourd’hui un marché prospère. Peut-être sera-t-elle un jour côté en bourse ou
vendue aux enchères. La Rochefoucauld l’avait prévu lorsqu’il écrivait :
« Ce que les hommes ont nommé amitié n'est qu'une société, qu'un
ménagement réciproque d'intérêts, et qu'un échange de bons office; ce n'est
enfin qu'un commerce où l'amour-propre se propose toujours quelque chose à
gagner ». Souvenez vous, l’amitié ne se recherche pas ne se rêve pas,
elle s’exerce. N’établissez pas comme certains des listes kilométriques de
contacts, en les appelant vos « amis ». Comment garantiriez vous
alors l’exercice de l’amitié ? Accorderiez vous à chacun une même
sympathie, la même con fiance ? Vous jugerez qu’un ami est sûr lorsque
votre situation ne le sera pas. « Il y a un goût dans la pure
amitié où ne peuvent atteindre ceux qui sont nés médiocres »,
soutenait La Bruyère. Elle exige l’excellence. Travaillez là donc comme un
orfèvre, un spécialiste, un expert. Songez aux liens qui unissaient Montaigne à
La Boétie, Frédéric de Prusse à Voltaire, Edith Piaf à Cocteau. Piaf et Cocteau
s’éteignirent le même jour, le 11 octobre 1963, après vingt ans d’amitié.
« C’est ma dernière journée sur cette terre », s’écria Cocteau
lorsque Piaf mourut. Quelques heures plus tard, il disparaissait à son tour…
Discours prononcé au siège d’Ile-de-France du Lion’s Club (Garenne-Colombe) en mars 2006.
Concours d’éloquence (2e épreuve).
Mais…Mais qu’attendez vous de moi
au juste? Que je ne sois pas d’accord avec Simone Weil ? Son propos est
évident. « L’amitié ne se recherche pas, ne se rêve pas, ne se désire
pas ; elle s’exerce ». Comment comprend-on en effet la phrase? On
y voit un commandement, une interdiction, un devoir : « l’amitié
ne doit pas se rechercher, ne doit pas se rêver, ne doit pas se désirer,
elle doit s’exercer ».
Le mot de Weil suppose que l’on puisse exercer l’amitié, que l’on ait donc des
amis. Pour exercer son talent, il faut avoir du talent ; pour exercer le
pouvoir, il faut avoir du pouvoir ; pour exercer l’amitié, il faut avoir
des amis. Mais, pensez un instant au paria de la société, à celui qu’on a
rejeté pour des raisons économiques, culturelles, ethniques. Doit-on le
condamner parce qu’il recherche un ami ? Moi, je ne suis pas d’accord. Je
considère qu’il peut être légitime de rechercher l’amitié. L’amitié se
recherche, se rêve, se désire et s’exerce.
Le mot de Weil s’applique à un certain contexte. Selon la
philosophe, l’amitié
relève d’un don divin, de la grâce, et
s’oppose à la « pesanteur »,
à
cette bassesse, cette force qui nous pousse à vouloir tout
maîtriser. Selon
Weil, lorsque deux hommes se réunissent, ils accueillent un ami
commun :
Dieu. Hors de son contexte, le mot de Weil pourrait entraîner le
repli sur
soi-même, l’indifférence. Si l’amitié
ne se recherche pas, que fait-on des
exclus ? Vous sentez vous capables de leur dire: « L’amitié
ne se recherche pas, ne se rêve pas, ne se désire pas » ? Vous
sentez vous capables de les rejeter?
Je considère qu’on peut rechercher l’amitié.
Dans la joie comme dans
l’adversité, on voudrait tous pouvoir se confier à
un être complice, un frère
d’armes. Certains ont trouvé cet ami. D’autres
restent seuls, l’attendent.
N’est-il pas légitime qu’ils cherchent un ami pour
les réconforter ? Pour
s’assurer qu’ils existent encore, en parlant avec
l’autre, puisque tout le
monde les rejette ? On a fait de l’amitié un
commerce. On peut désormais
acheter des amis dans les petites annonces, au côté des
tapis et des chats
persans. Vous pouvez en rire, vous indigner, condamner cette nouvelle
pratique
de l’amitié. Mais avez-vous déjà
été isolé, marché des heures dans la foule
sans rencontrer un visage connu ? Personne ne vous regarde,
personne ne
vous connaît, vous êtes bannis dans votre propre pays.
De même, L’amitié se désire. Il est mon ami. « Mon » ne marque
pas l’appropriation, l’exclusivité mais l’appartenance, l’unité, voire la
complémentarité. Je peux désirer cette richesse, cette différence qui
caractérise mon ami.
Bien entendu, on peut rêver l’amitié. Dans un monde soumis à la compétition, la
rentabilité, la production, on peut rêver l’amitié parce qu’elle n’a pas
d’utilité, elle est pour elle-même. Elle peut donc séduire celui qu’on a rejeté
parce qu’il n’était pas rentable.
L’amitié s’exerce. On ne valide pas une amitié seul, en se repliant sur un
désir, un fantasme mais en échangeant avec l’autre. L’amitié exige donc du
temps. Tout ce qui veut durer doit être entretenu. Laissez une maison à
l’abandon, le lierre l’envahira ; oubliez un feu pendant quelques heures,
il s’éteindra ; oubliez votre ami, il disparaîtra.
« Je suis tellement triste…Je cherche des amis », avoue le
Petit Prince au renard. L’amitié est un remède à la tristesse. Il est bon
d’être seul de temps en temps, pour s’analyser, faire le point. Mais qu’il est
bon de pouvoir se confier, quand viennent les soucis, les angoisses. Dans En
Attendant Godot, Samuel Beckett montre ce réconfort de l’amitié. Les
protagonistes, Vladimir et Estragon, sont justement deux clochards amis.
« Pourquoi tu ne me laisses jamais dormir ? » demande
Estragon à Vladimir. « Je me sentais seul », répond Vladimir.
La voix de l’ami réconforte. Ne téléphonez pas forcément à votre ami au milieu
de la nuit, à 3 heures du matin, en lui disant que vous vous sentez seul. Il
risque de vous raccrocher au nez et vous serez encore plus seul. Mais
comprenez…comprenez que l’amitié et la solitude sont ennemies. Il est facile de
dire que l’amitié ne se recherche pas, que « fuir la solitude est une
lâcheté », comme Simone Weil l’ajoute dans La Pesanteur et la Grâce.
Mais, le lâche n’est-il pas plutôt celui qui reste dans sa solitude par peur
des autres ? A condamner la recherche de l’amitié, Weil enferme l’homme
dans sa solitude.
« La
grande amitié n’est jamais tranquille », expliquait Madame de Sévigné.
Il faut sans cesse la travailler, la renouveler, l’exercer pour éviter qu’elle
se réduise au « transmettez-lui toutes mes amitiés », formule
si pratique, si expéditive, si hypocrite pour conclure une
lettre. L’amitié se nourrit pas que de politesses, de distance, de
réserve. Colette écrivait : « il est sage de verser sur l’amitié
l’huile de la politesse délicate ». Cependant, trop de politesse, de
distance tue l’amitié. L’amitié y perd toute sa sincérité. Tout un
artifice se substitue à l’amitié. Un véritable marché s’est d’ailleurs
développé : quand on est invité à dîner par un ami, on peut apporter
une boîte de chocolats ou de pâtes de fruit, une bouteille de vin ou même une
bougie parfumée, très à la mode en ce moment. A vrai dire, je ne sais
jamais quoi en faire. Ne jouez donc pas trop à l’ami poli. Si vous vous
dîtes ami, entraînez-vous, exercez-vous, ne soyez jamais tranquille, pour
reprendre les mots de Madame de Sévigné.
Considérez
une dernière fois la phrase de Simone Weil…Peut-on finalement résumer l’amitié
en quelques mots ? C’est l’affaiblir que de vouloir la comprendre, la
maîtriser, la figer en une phrase. Elle doit conserver son mystère. Songez aux
liens qui unissaient Edith Piaf à Cocteau. Piaf et Cocteau s’éteignirent le
même jour, le 11 octobre 1963, après vingt ans d’amitié. « C’est ma
dernière journée sur cette terre », s’écria Cocteau lorsque Piaf
mourut. Quelques heures plus tard, il disparaissait à son tour…
« L’amitié est un contrat entre
deux personnes vertueuses ; les intéressés ont des associés, le commun des
hommes oisifs à des liaisons, les princes ont des courtisans ; les hommes
vertueux ont seuls des amis »…Par ces quelques mots, Voltaire nous
pousse à analyser nos relations…Où vous situez vous ? Etes vous un
« associé », allié à un autre par intérêt ? Etes vous
« oisif », espérant par vos liaisons vous libérer de certaines
tâches ? Etes vous un prince qui aime dominer ses sujets ? Ou
êtes vous un ami ?
De toutes ces relations, l’amitié est de loin la plus exigeante. Elle suppose
la confiance, la fidélité, la constance. Il faut l’entretenir, l’exercer sans
cesse. Elle est rare la véritable amitié. Nous la recherchons tous mais
refusons de l’avouer par orgueil. Il est dur d’admettre qu’on a besoin de
l’autre, qu’on ne se suffit pas à soi-même…N’est-ce pas ? L’amitié se
recherche et s’exerce.
Qui est-il donc celui que vous appelez votre ami ? Vous avez confiance en
lui, vous savez qu’il vous soutiendra dans les difficultés, vous aimez
plaisanter avec lui. Contrairement à une simple connaissance, il vous reproche
vos fautes mais sait les excuser. Qui, dans cette salle, avoue n’avoir jamais
recherché ce réconfort, ce soutien ? Qui, dans cette salle, pense qu’il se
suffit à lui-même ? Je vois peu de mains levées…Vous l’avez compris. Nous
recherchons tous l’amitié mais refusons de l’avouer par orgueil. Le mot…de a
quelque chose de la chanson de Gainsbourg Je n’ai besoin de personne en
Harley Davidson. Non, je n’ai rien à apprendre de personne, je suis
indépendant… Chacun veut parvenir à l’autosuffisance, à l’autarcie et désirer
l’amitié serait avouer ses faiblesses. Le propos de…est même paradoxal. La
philosophe fonde l’amitié, ouverture sur l’autre, sur une ignorance de l’autre,
un repli sur soi-même. Il faut donc oublier l’autre, ne pas le rechercher, pour
s’ouvrir à lui. Paradoxal, non ?
Cette recherche est nécessaire à l’amitié. Elle crée une relation de dépendance
qui garantit la survie de l’amitié. Si je n’ai pas besoin de l’autre, si je ne
le recherche pas, pourquoi l’appeler « ami » ? Je désire
l’amitié parce que je sais que l’ami peut m’apprendre. Il est différent de moi,
peut-être me complète t-il, j’ai une certaine admiration pour lui. Je désire
aussi l’amitié parce que l’ami me réconforte, me soutient dans les difficultés.
D’ailleurs, vous ne pourrez exercer votre amitié que si vous recherchez votre
ami. Vous devez être dépendants l’un de l’autre. Souvenez-vous de ce compagnon
qui partageait vos après-midi et vos secrets d’enfant. Qu’est-il devenu ?
Un déménagement, un accident, un drame familial et votre amitié s’est soudain
affaiblie, voire a disparu. Mais étiez-vous vraiment dépendants de cette
amitié ? Le sportif court pour se maintenir en forme, le pianiste joue
pour ne pas perdre la main, l’ami doit s’entraîner, exercer son amitié s’il ne
veut pas la perdre.
Le comte de Ségur écrivait : « l’amitié est un besoin pour l’âme,
chacun cherche et veut des amis, tout le monde se plaint de la rareté d’un tel
trésor ; et cependant, l’orgueil nous éloigne de sa recherche ».
Oui, la véritable amitié naît dans l’humilité. Lorsque je reconnais mes
faiblesses, j’en viens à rechercher l’ami parce que je sais qu’il peut
m’apporter. Sans cette dépendance, sans recherche, pas d’amitié. Peut-être
l’amitié n’est-elle donc pas rare ; nous la rendons rare. « Combien
d’hommes ont manqué d’amitié plutôt que d’amis ! », s’exclame
Sénèque. Ils n’avaient qu’à laisser leur orgueil et accepter l’amitié, accepter
de s’allier avec l’autre.
Méfiez-vous…A refuser de rechercher
l’amitié, on finit par se rechercher
soi-même dans l’autre. Il arrive alors qu’on ait un
coup de foudre lors d’une
rencontre. On se projette dans l’autre en lui donnant des
qualités qu’il n’a
pas. On se reconnaît en lui. Mais il finit par se montrer tel
qu’il est, avec
ses défauts…L’amitié qui ne se désire
pas est vouée à l’échec. Fénelon
insiste
sur cette recherche de soi dans l’amitié,
remplaçant la recherche de l’amitié
elle-même : « On ne déguise si subtilement tous les motifs
d’amour-propre dans l’amitié, que pour s’épargner la honte de paraître se
rechercher soi-même dans les autres ».
L’amitié bâtie sur le coup de foudre, sans aucune recherche de l’autre ne dure
pas. Elle fait de l’ami un miroir parce que je me projette en lui. Je n’ai donc
pas besoin de lui pour ce qu’il est ; nous l’avons vu, pas de dépendance,
pas d’amitié. Si vous vous sentez ici concernés, suivez le conseil d’Alexandre
Dumas : « Voulez-vous compter vos amis ? Empruntez leur de
l’argent ». C’est un test infaillible…Vous pourrez alors rayer
plusieurs dizaines de noms de votre carnet d’adresses. Mais pourquoi
s’étonner ? Tous ces connaissances, les désiriez vous, en étiez vous
dépendants?
C’est parce que l’amitié suppose la dépendance, la recherche, qu’elle
s’exerce. L’exercice de l’amitié est l’aboutissement, la récompense de la
recherche. « La grande amitié n’est jamais tranquille »,
expliquait madame de Sévigné. Elle est animée par cette recherche de l’autre et
doit sans cesse être travaillée, renouvelée, exercée. Bien sûr, la
« petite amitié » est d’un autre genre. Certes, elle est moins
exigeante mais plus fourbe. N’y comptez pas trop dans les difficultés.
Vous comprenez maintenant Voltaire quand il distingue les
« associés », les « oisifs », les « princes »,
des amis. On appelle trop souvent ses fréquentations des « amitiés » sans
trop savoir ce que le mot signifie. Vous l’avez vu, la véritable amitié exige
l’excellence. Elle suppose qu’on oublie son orgueil. Elle n’est pas donnée à
tous. Vous avez des amis ? Vous êtes une élite, vous êtes un privilégié.
Travaillez donc votre amitié en orfèvre, en spécialiste, en expert…
« L’amitié est un contrat
entre deux personnes vertueuses ; les intéressés ont des associés, le
commun des hommes oisifs à des liaisons, les princes ont des courtisans ;
les hommes vertueux ont seuls des amis »…Par ces quelques mots,
Voltaire nous pousse à analyser nos relations…Où vous situez vous ? Etes
vous un « associé », allié à un autre par intérêt ? Etes vous
« oisif », espérant par vos liaisons vous libérer de certaines tâches ?
Etes vous un prince qui aime dominer ses sujets ? Ou êtes vous un
ami ?
De toutes ces relations, l’amitié est de loin la plus exigeante. Elle suppose
la confiance, la fidélité, la constance. Il faut l’entretenir, l’exercer sans
cesse. Elle est rare la véritable amitié. Nous la recherchons tous mais
refusons de l’avouer par orgueil. Il est dur d’admettre qu’on a besoin de
l’autre, qu’on ne se suffit pas à soi-même…N’est-ce pas ? L’amitié se
recherche et s’exerce.
Qui est-il donc celui que vous appelez votre ami ? Vous avez confiance en
lui, vous savez qu’il vous soutiendra dans les difficultés, vous aimez
plaisanter avec lui. Contrairement à une simple connaissance, il vous reproche
vos fautes mais sait les excuser. Qui, dans cette salle, avoue n’avoir jamais
recherché ce réconfort, ce soutien ? Qui, dans cette salle, pense qu’il se
suffit à lui-même ? Je vois peu de mains levées…Vous l’avez compris. Nous
recherchons tous l’amitié mais refusons de l’avouer par orgueil. Le mot…de a
quelque chose de la chanson de Gainsbourg Je n’ai besoin de personne en
Harley Davidson. Non, je n’ai rien à apprendre de personne, je suis
indépendant… Chacun veut parvenir à l’autosuffisance, à l’autarcie et désirer
l’amitié serait avouer ses faiblesses. Le propos de…est même paradoxal. La
philosophe fonde l’amitié, ouverture sur l’autre, sur une ignorance de l’autre,
un repli sur soi-même. Il faut donc oublier l’autre, ne pas le rechercher, pour
s’ouvrir à lui. Paradoxal, non ?
Cette recherche est nécessaire à l’amitié. Elle crée une relation de dépendance
qui garantit la survie de l’amitié. Si je n’ai pas besoin de l’autre, si je ne
le recherche pas, pourquoi l’appeler « ami » ? Je désire
l’amitié parce que je sais que l’ami peut m’apprendre. Il est différent de moi,
peut-être me complète t-il, j’ai une certaine admiration pour lui. Je désire
aussi l’amitié parce que l’ami me réconforte, me soutient dans les difficultés.
D’ailleurs, vous ne pourrez exercer votre amitié que si vous recherchez votre ami.
Vous devez être dépendants l’un de l’autre. Souvenez-vous de ce compagnon qui
partageait vos après-midi et vos secrets d’enfant. Qu’est-il devenu ? Un
déménagement, un accident, un drame familial et votre amitié s’est soudain
affaiblie, voire a disparu. Mais étiez-vous vraiment dépendants de cette
amitié ? Le sportif court pour se maintenir en forme, le pianiste joue
pour ne pas perdre la main, l’ami doit s’entraîner, exercer son amitié s’il ne
veut pas la perdre.
Le comte de Ségur écrivait : « l’amitié est un besoin pour l’âme,
chacun cherche et veut des amis, tout le monde se plaint de la rareté d’un tel
trésor ; et cependant, l’orgueil nous éloigne de sa recherche ».
Oui, la véritable amitié naît dans l’humilité. Lorsque je reconnais mes
faiblesses, j’en viens à rechercher l’ami parce que je sais qu’il peut
m’apporter. Sans cette dépendance, sans recherche, pas d’amitié. Peut-être
l’amitié n’est-elle donc pas rare ; nous la rendons rare. « Combien
d’hommes ont manqué d’amitié plutôt que d’amis ! », s’exclame
Sénèque. Ils n’avaient qu’à laisser leur orgueil et accepter l’amitié, accepter
de s’allier avec l’autre.
Méfiez-vous…A refuser de rechercher
l’amitié, on finit par se rechercher
soi-même dans l’autre. Il arrive alors qu’on ait un
coup de foudre lors d’une
rencontre. On se projette dans l’autre en lui donnant des
qualités qu’il n’a
pas. On se reconnaît en lui. Mais il finit par se montrer tel
qu’il est, avec
ses défauts…L’amitié qui ne se désire
pas est vouée à l’échec. Fénelon
insiste
sur cette recherche de soi dans l’amitié,
remplaçant la recherche de l’amitié
elle-même : « On ne déguise si subtilement tous les motifs
d’amour-propre dans l’amitié, que pour s’épargner la honte de paraître se
rechercher soi-même dans les autres ».
L’amitié bâtie sur le coup de foudre, sans aucune recherche de l’autre ne dure
pas. Elle fait de l’ami un miroir parce que je me projette en lui. Je n’ai donc
pas besoin de lui pour ce qu’il est ; nous l’avons vu, pas de dépendance,
pas d’amitié. Si vous vous sentez ici concernés, suivez le conseil d’Alexandre
Dumas : « Voulez-vous compter vos amis ? Empruntez leur de
l’argent ». C’est un test infaillible…Vous pourrez alors rayer
plusieurs dizaines de noms de votre carnet d’adresses. Mais pourquoi
s’étonner ? Tous ces connaissances, les désiriez vous, en étiez vous
dépendants?
C’est parce que l’amitié suppose la dépendance, la recherche, qu’elle
s’exerce. L’exercice de l’amitié est l’aboutissement, la récompense de la
recherche. « La grande amitié n’est jamais tranquille »,
expliquait madame de Sévigné. Elle est animée par cette recherche de l’autre et
doit sans cesse être travaillée, renouvelée, exercée. Bien sûr, la
« petite amitié » est d’un autre genre. Certes, elle est moins
exigeante mais plus fourbe. N’y comptez pas trop dans les difficultés.
Vous comprenez maintenant Voltaire quand il distingue les
« associés », les « oisifs », les « princes »,
des amis. On appelle trop souvent ses fréquentations des « amitiés »
sans trop savoir ce que le mot signifie. Vous l’avez vu, la véritable amitié
exige l’excellence. Elle suppose qu’on oublie son orgueil. Elle n’est pas
donnée à tous. Vous avez des amis ? Vous êtes une élite, vous êtes un
privilégié. Travaillez donc votre amitié en orfèvre, en spécialiste, en
expert…
Lauréat du concours national d'éloquence du Lion’s club (Marseille, 2006)
grandes familles du Nord ; grandes familles des
Flandres ; grandes familles des hauts de France
Piano : Niveau pré-professionnel
(Conservatoires de
Paris et Genève)